On ne peut pas dire que les éditions Saint-Rémi, même si elles ont le mérite de proposer ce texte qu’on ne trouve nulle part ailleurs (en version papier1), lui font honneur. Jonché de coquilles très probablement dues à une numérisation (en témoignent des « ! » qui devraient être des « l » et autres joyeusetés du même ordre) et de rares fautes de conjugaison, le travail de relecture semble bien absent. Le livre datant de 1984, certaines des références sont obscures pour un lecteur de 2019, qui auraient mérité des (sur)notes de l’éditeur, expliquant le contexte, l’identité de la personne concernée ou mettant à jour les références bibliographiques, afin que le lecteur sache où trouver les livres que lui cite l’auteur. Celui-ci ne le faisant d’ailleurs que les deux tiers du temps, avec parfois des passages entre guillemets sortis de l’océan des écrits humains, sans qu’on sache d’où cela sort. Enfin, l’abus de majuscules dans la bibliographie (même si c’est le fait de l’auteur, la présentation eût pu être retravaillée pour être tout simplement lisible) est si gênant qu’on passe ce dernier appendice de 27 p. sans oser vraiment s’y arrêter. Cela donne une impression de grand fouillis, d’autant plus dommageable pour un sujet aussi important et ce d’autant plus que possédant deux autres livres de l’éditeur2, je vois que celui sur la Société Fabienne est bien plus soigneusement préparé. Apparemment Pierre Hillard ferait son entrée dans cette maison d’édition, du moins a-t-il participé à une deuxième édition, revue, corrigée et augmentée du Réseau Rampolla & l’éclipse catholique de Henri Barbier : on ne peut qu’espérer qu’il refasse un tour sur ces écrits ou qu’il crée cette dynamique chez l’éditeur afin que les futurs lecteurs puissent lire une deuxième version corrigée et recontextualisée, faute de quoi le texte perd une grande partie de sa valeur.

Concernant le travail de l’auteur, je serais aussi mitigé. Les chapitres, très inégaux, alternent entre question séculaire et l’affaire de la semaine, sans réel continuité. Ainsi, dans le chapitre I, le marquis justifie-t-il son emploi du terme Lucifer3 pour enchainer dans le chapitre II sur l’action antimaçonnique de Monseigneur Jouin. Celle-ci fut incontestablement honorable et importante mais on se serait attendu à une fresque historique allant de la mort de Jésus aux temps contemporains en passant par Simon le magicien, les hérésies divers et variées qui ont failli faire chuter l’Église, plutôt que sur un militant méritant du début du vingtième siècle. Au chapitre III, le marquis se centre sur les Juifs dans survol trop court axé sur la lecture non-critique des Protocoles des Sages de Sion. Le chapitre IV concerne la franc-maçonnerie dont il n’est pas clairement dit si elle est une créature juive ou un gnosticisme indépendant quoique tout aussi luciférien. Si le deuxième cas est vrai, il faudrait donc reprendre l’étude sommaire sur le monde juif et distinguer probablement, comme le font certains, le judaïsme (ou mosaïsme) du Talmudisme et de la Kabbale, qui ne sont peut-être plus du Judaïsme proprement dit, mais des hérésies vaguement similaires au Judaïsme, tout comme le Novus Ordo de l’Église post-Vatican II et clowno-pachamamesque n’est pas l’Église Catholique. Il se pourrait qu’il y ait un gnosticisme fondamental4 qui ait séduit les autorités juives et les poussent à conquérir le monde sans attendre que leur Messie ne les invite à retourner en Eretz Israël pour accomplir la mission que Yahvé leur a donné il y a trois mille ans, et que ce soit ce gnosticisme qui soit derrière toutes les innombrables branches de la « pieuvre luciférienne » (du nom du chapitre V).

Ce dernier chapitre, le cinquième, est de loin le plus faible. En effet, dressant un catalogue hâtif de tous les mouvements qui attaquent l’Église catholique – il suffit qu’ils soient non-catholiques pour l’attaquer, de toute façon, puisqu’ils veulent se substituer à elle –, on assiste à un enchainement de citations parfois de sources uniques et obscures qui ressemblent à l’activité militante de Janine, 57 ans, sur Facebook, qui rebalance sans même les regarder les vidéos spectaculaires que Jojo et Régine ont publié, croyant que son activité de lanceuse d’alerte inculte et réalisée depuis son salon, servira la cause et ouvrira les yeux de ses contemporains. Certes, je grossis le trait, le marquis de la Franquerie n’étant pas la grosse Janine incapable d’aller dans la rue, de monter un projet, de comprendre un site parodique ou de s’inscrire dans une vraie dynamique, mais ce chapitre est si sommaire qu’il en nuit au propos.

Heureusement, le chapitre VI sur la destruction de l’Église – à mettre en regard d’autres textes sur le même sujet comme le Léon de Poncins que je terminerai dans la semaine – est bien plus intéressant. C’est un domaine que l’auteur connaît bien pour l’avoir connue de l’intérieur et sur laquelle il est compétent et intéressant.

Les appendices, encore une fois, sont foutraques. On a droit à un message de Lucifer à un medium, sur trois pages, sans qu’on ne sache qui, quoi, pourquoi… De même pour l’appendice 2 qui est une prière d’exorcisme contre Satan (tout de même, le lecteur ne va pas être attaqué pour avoir lu ce livre… qu’est-ce que cela vient faire là ?) et le troisième, donc, est une bibliographie dont j’ai déjà dit tout le bien que j’en pensais.

Que reste-t-il de tout cela – et des autres lectures que je peux faire sur le sujet ? Que les Catholiques sont souvent intéressants et informés sur la façon dont leur Église a été infiltrée et manipulée pour arriver jusqu’à Vatican II, mais que sur les sujets de la Franc-maçonnerie ou du Judaïsme c’est assez léger et redondant, chaque auteur semblant réécrire la compilation de Catholiques précédents en de courts chapitres qui survolent leur sujet, et surtout les articulent mal entre eux, qui font de tout et son contraire les objets d’un même plan, et sans expliquer pourquoi si depuis le 19ème siècle Lucifer a gagné, met-il tellement de temps pour se révéler à tous sur les ruines fumantes d’un Catholicisme n’en finissant plus d’agonir qui mourrait déjà quand Nietzsche le regardait. De sorte qu’on a du mal à comprendre ce qu’un Philippe Ploncard d’Assac apporte de plus dans ses livres que ce que son père pouvait écrire, un Soral que les gens qu’il édite ou un Stéphane Blet sur les mises en garde de Drumont ou les auteurs du 19ème siècle.

Bref, qu’on arrête d’asséner, qu’on documente, comme a commencé à le faire Pierre Hillard dans ses Archives du Mondialisme. Il vaut mieux aujourd’hui dix livres qui tentent chacun d’épuiser un sujet, quitte à ce qu’en faisant la somme de tous chacun essaye d’en déterminer la synthèse, que dix fois le même texte essayant de dresser un large panorama creux et redondant. Qu’on s’essaye à donner des schémas clairs, même si la cartographie des différents niveaux de secrets et les relations exactes entre les différentes entités (parfois faussement opposées mais qui concourent au même plan), sont impossibles à établir, sans doute même pour les manipulateurs ; encore une fois Pierre Hillard le fait, qui voit différentes factions s’affronter dans le plan mondialiste, ou quelques rebelles déçus du rôle que leurs marionnettistes accordaient à leur conférer, dénoncent, comme Rudolf Steiner en 1918. Mais qu’on essaye au moins d’avancer au lieu de se contenter de récrire toujours la même chose sans jamais rien n’apporter de plus que du superficiel qui, en l’état, ne convaincra que les convaincus ; c’est-à-dire quelques Cassandre inutiles.

Notes

  1. Uniquement en version Kindle chez Omnia Veritas, et je ne veux pas posséder des livres numériques que le Pouvoir totalitaire bienpensant pourra un jour m’effacer parce qu’un bon citoyen ne doit pas lire cela. ↩︎
  2. Un des deux étant pire, puisqu’il n’est qu’un vieux pdf imprimé, sans titres (donc sans sommaire) qui promet d’être peu utile… mais vendu à 18 €. ↩︎
  3. Et c’est bien court puisqu’on aurait attendu une analyse de la Chute présentée dans la Genèse, puis une explication permettant de comprendre comment son schéma peut éviter l’hérésie manichéenne où un Lucifer presque aussi fort que Dieu peut prendre possession du monde sans que le Créateur ne reprenne plus que quelques petits arpents de terrain perdu, comme l’âme de telle ou telle prêtresse luciferienne, Diana Vaughan et Clotilde Bersone. ↩︎
  4. Ici, bien que ses livres n’échappent pas au style maladroit alternant entre le ton de l’adolescent bagarreur et de la bourgeoise à serre-tête outrée, Alain Pascal est plus conséquent qui réinscrit les Juifs (ou les hérésies juives, Talmudistes et Kabbalistiques) dans un ensemble plus large qui comprend aussi les gnosticismes orientaux, zoroastriens, pythagoriciens, ou encore égyptiens. ↩︎

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