Accueil » Histoire » Le récentisme

On va écouter1 plusieurs voix (pour le moment francophones) de cette nébuleuse d’individus (aux statuts très différents) qui ont tous en commun, au-delà de leurs divergences, de critiquer massivement (et plus massivement que des historiens qui corrigeraient les travaux de leurs prédécesseurs) la chronologie communément acceptée et enseignée dans les enseignements primaire et secondaire.

Quelques grands noms du récentisme

Jean Hardouin (1646-1729)

Jésuite2 et professeur de théologie positive pendant quinze ans, avant de devenir en 1683 bibliothécaire du collège Louis-le-Grand, le collège parisien de la Compagnie, fonction qu’il occupa jusqu’à sa mort. Dans ses Chronologiae ex nummis antiquis restitutae (1696) et ses Prolegomena ad censuram veterum scriptorum (publiés à Londres en 1766), il veut prouver qu’à l’exception des œuvres de Homère, de Hérodote et de Cicéron, de l’Histoire naturelle de Pline, des Géorgiques de Virgile, et des Satires et des Épîtres d’Horace, tous les écrits classiques de la Grèce antique et de Rome sont des faux, fabriqués par des moines du XIIIème siècle, sous la direction d’un certain Severus Archontius. Il nie l’authenticité de la plupart des œuvres d’art, des pièces de monnaie et des inscriptions anciennes, et assure que les versions grecques de l’Ancien Testament (la Septante) et du Nouveau Testament sont des fabrications tardives.

Selon l’historien Henri-Irénée Marrou3, cette dérive hypercritique d’un érudit de valeur, est liée à l’opposition aux Jansénistes, qui s’appuyaient sur Augustin d’Hippone, ce qui l’amena à contester d’abord l’authenticité des textes des Pères de l’Église. L’historien Isaac-Joseph Berruyer vit son Histoire du peuple de Dieu condamnée pour y avoir suivi cette théorie. Hardouin vit aussi se développer une opposition à ses thèses à l’intérieur même de la Compagnie de Jésus, notamment de la part de René-Joseph de Tournemine, si bien qu’il dut produire une rétractation en 1709.

Entre autres, les historiens qui suivirent les grandes lignes de Hardouin furent l’anglais Edwin Johnson (1842-1901) et l’allemand Wilhelm Kammeier (1889-1959).

Edwin Johnson (1842-1901)

Historien anglais, surtout connu pour sa critique radicale de l’historiographie chrétienne, ses recherches se situent dans la lignée de Bruno Bauer, S.A. Naber, et A. Pierson. Parmi ses œuvres, on cite Antiqua Mater: A Study of Christian Origins (1887, publié à Londres de façon anonyme) et The Pauline Epistle: Re-studied and Explained (1894).

Dans Antiqua Mater, Johnson examine un grand nombre de sources diverses relatives aux débuts du christianisme et « extérieures à l’Écriture », et il en vient à la conclusion qu’il n’existe aucune preuve documentaire fiable capable d’établir l’existence de Jésus-Christ ou des Apôtres. Selon lui le Christianisme a évolué à partir d’un mouvement dans la diaspora juive, chez des gens que provisoirement il appelle les Hagioi (mot grec signifiant « saints », « croyants », « disciples loyaux », ou « peuple de Dieu », communément utilisé quand on parle des membres des premières communautés chrétiennes). Ces Juifs adhéraient à une interprétation libérale de la Torah avec une simplification des rites et des perspectives plus spirituelles. C’est un terme qui a été d’un usage fréquent chez Paul, dans le Nouveau Testament, et dans quelques passages des Actes des Apôtres, qui font référence aux activités de Paul.

Le Gnosticisme, et en même temps certains cultes païens de Bacchus, sont également cités comme des précurseurs probables du Christianisme.

Dans The Pauline Epistles et The Rise of English Culture, Johnson affirme que la totalité de ce qu’on appelle le Moyen Âge entre 700 et 1400 n’a jamais eu lieu, mais a été inventé par des écrivains chrétiens qui ont créé des personnages et des événements imaginaires. Les Pères de l’Église, les Évangiles, saint Paul, les premiers textes chrétiens, ainsi que le Christianisme en général, tout cela est identifié comme de simples créations littéraires qu’il attribue à des moines (surtout bénédictins), qui ont élaboré l’ensemble du mythe chrétien au début du XVIème siècle. Toute l’histoire d’Angleterre avant la fin du XVème siècle serait aussi abolie.

Anatoli Fomenko (né en 1945) et Gleb Nosovsky

Anatoli Timofeïevitch Fomenko, né en 1945 à Donetsk, est un académicien soviétique puis russe de l’Académie des sciences de Russie, docteur ès sciences, professeur, chef de la chaire de géométrie différentielle et des applications de la faculté de mécanique et mathématiques de l’université de Moscou.

Il a reçu en 1996 le prix d’État de la Fédération de Russie (mathématiques) ; il est également dessinateur, dans un style mathématico-surréaliste qui lui est propre, mais est surtout connu comme étant un critique de la chronologie.

En effet, sa « Nouvelle Chronologie » en matière historique, est une théorie qui veut que l’Histoire antique ne serait qu’une vaste invention des Jésuites aux XVIIème et XVIIIème siècles. Son principal argument est l’hypothèse que des textes auraient été mal interprétés par les historiens : certains textes sont considérés comme se rapportant à des périodes différentes, alors qu’ils parleraient du même sujet, mais rédigés par des auteurs différents et dans des langues différentes, avec toutes les modifications que cela entraîne (comme le nom des villes), et c’est ce qui aurait contribué à étendre l’Histoire.

« Anatoli Fomenko affirme que toutes les histoires anciennes de Grèce, Rome, Égypte, Chine ne sont en réalité que des réécritures tardives, effectuées à la Renaissance à partir du récit d’évènements survenus en réalité au Moyen Âge » résume l’archéologue Jean-Loïc Le Quellec.

Selon Fomenko, l’Histoire ne commence qu’au Xe siècle de notre ère. Jésus aurait été crucifié en 1083 à Constantinople. Nombre de dates nous sont parvenues avec un i ou un j suivi de chiffres : i235; j322. Ces deux lettres ont été interprétées comme désignant le chiffre « 1 », majorant la date réelle de mille ans. Les Italiens se disaient vivre au quattrocento (400) et non au mille quattrocento (1400) ; Fomenko en conclut que leur calendrier commençait en l’an 1000. Les croisades et la guerre de Troie ne seraient qu’un seul et même évènement, le passé britannique proviendrait de textes décrivant en réalité une partie de l’Empire byzantin (Anglia devenu plus tard Albion décrirait une fraction de l’Empire byzantin. D’ailleurs, les Angels (Engels) étaient une dynastie byzantine), les Hittites seraient en vérité les Goths.

Fomenko affirme dans sa « Nouvelle Chronologie » (History: Fiction or Science?, vol. 1), que la datation au carbone 14 a été calibrée sur la chronologie déjà acceptée. Selon lui, cette datation ne pourrait donc pas être utilisée pour la confirmer puisqu’elle en découle. Il conteste de même la dendrochronologie et d’autres méthodes.

En France, Pierre Dortiguier a tenté d’en populariser les thèses dans le monde francophone.

Mais aussi…

D’autres vues ont été exprimées par Sir Isaac Newton, Wilhelm Kammeier, Robert Baldauf et Christoph Marx ; des appels du même genre pour une révision radicale de la chronologie historique se retrouvent chez différents chercheurs modernes, parmi lesquels les chercheurs allemands Hermann Detering, Eugen Gabowitsch, Heribert Illig et Uwe Topper, ainsi que chez .

Les récentistes francophones contemporains

Du plus sérieux au moins sérieux on peut noter les noms de Laurent Guyénot, Laurent Villaverde, le collectif Chronology 2.0 (collectif qui écrit dans la revue Top Secret de Roch Saüquere) ou Pierre Dortiguier ou Oleg le Normand, qui ont été mis sur des pages à part, celle-ci devant donner la synthèse de tous leur travaux (ou délires, si on considère que les récentistes sont les “platistes” du temps).

Bibliographie raisonnée (à compléter)

DAVIDENKO, KESSLER et KASPAROV, [2001] Livre de civilisation

FOMENKO A.T., [1994] Empirico-Statistical Analysis of Narrative Material and its Applications to Historical Dating. Vol.1: The Development of the Statistical Tools. Vol.2: The Analysis of Ancient and Medieval Records, Kluwer Academic Publishers, The Netherlands

FOMENKO A.T., [1999] New Methods of Statistical Analysis of Historical Texts. Applications to Chronology. Antiquity in the Middle Ages. Greek and Bible History. Vols.1, 2, 3., Edwin Mellen Press, EUA. Lewiston. Queenston. Lampeter

FOMENKO A.T., [1999] “Antiquity in the Middle Ages. Greek and Bible History”, EUA, Lewiston, Queenston, Lampeter, The Edwin Mellen Press, (Scholarly Monographs in the Russian Language)

FOMENKO A.T. et al.History: Fiction or Science? Chronology 1Introducing the problem. A criticism of the Scaligerian chronology. Dating methods as offered by mathematical statistics. Eclipses and zodiacs

FOMENKO A.T. et al. History: Fiction or Science? Chronology 2The dynastic parallelism method. Rome. Troy. Greece. The Bible. Chronological shifts

FOMENKO A.T. et al.History: Fiction or Science? Chronology 3Astronomical methods as applied to chronology. Ptolemy’s Almagest. Tycho Brahe. Copernicus. The Egyptian zodiacs

FOMENKO A.T. et NOSOVSKY G.V., [2008] History: Fiction or Science? Russia. Britain. Byzantium. Rome. Chronology 4, Paris/London/New York, Mithec, Delamere Resources LLC, 727 pp.

GUYENOT Laurent, [2016] « Le Vatican lévitique », chap V de Du Yahvisme au Sionisme, Kontre Kulture, p. 115-152

GUYENOT Laurent, [2021] Un millénaire de trois siècles ?, Kontre Kulture

GRISHIN et MELAMAD, [2005] The Medieval Empire of the Israelites

Thèse principale : les Templiers sont les chevaliers du Temple de Jérusalem ; tous les groupes gnostiques sont les mêmes.

Notes

  1. Ecouter ne veut pas dire adhérer, ça me paraît même délirant tout ça, mais écoutons… ↩︎
  2. L’ensemble des textes de cette sous-partie est tiré du Wikipedia francophone. ↩︎
  3. De la connaissance historique, éd. du Seuil, coll. Points Histoire, 1975, p. 130-139. ↩︎