Au-delà du caractère ostentatoire des faux voyages – d’autant plus ratés que les individus prétendent se couper de leur monde de référence et restent hyperconnectés au quotidien avec celui-ci – et du besoin qu’a l’individu narcissique d’apporter un peu d’éléments nouveaux à la mise en scène de la vacuité de son existence sur les plateformes dédiées à l’étalement de ces basses flatteries, le tourisme est un outil qui permet au Pouvoir1 sans doute de laisser respirer les classes moyennes lors de nécessaires moments de décompression, mais surtout de s’assurer leur fidélité en leur permettant d’aller deux semaines à l’année chez plus esclaves et plus pauvres qu’eux, ou dans des structures où un personnel dévoué leur donne la sensation d’être des maîtres. La facilité d’aller, pour des prix raisonnables, à l’autre bout du monde, leur permet aussi de jouer à l’hyperclasse le temps d’un petit moment ; c’est le petit privilège à perdre qui permet de s’assurer de leur complicité dans le Système, le moment où les pactes latents se signent (je veux bien être dominé, si j’ai des gens en-dessous de moi), l’achat (bien que ce soit le consommateur qui paye) de leur trahison en cas de tentative révolutionnaire, une école de la prostitution sociale où pour être client quelque temps, on accepte d’être prestataire le reste du temps.

Le tourisme détruit l’endroit où on s’y adonne. Il détruit le paysage, il détruit le tissu social, il corrompt les jeunesses de ceux qui reçoivent les clients. Le touriste n’est même pas heureux puisqu’il se retrouve entouré de touristes, ses voisins des pays riches quand il part à l’étranger, dans des univers de pacotille, entouré de salariés dévoués, à déplorer – pour les moins abrutis – la perte de l’authenticité de l’endroit qu’ils contribuent à saccager.

Ce temps de loisir perdu à gâcher un temps qu’il vaudrait mieux employer à se cultiver – en cela le tourisme est le petit frère de la télévision –, à acquérir les compétences nécessaires à son émancipation, fait aussi le jeu du Pouvoir. Il y a dans le sport, le football et les jeux de cirques, un peu de socialisation bénéfique, un regroupement tribal, l’idée qu’on forme un groupe réunit un moment dans un stade à partager des émotions fortes ; il y a encore quelque chose de dangereux pour le Pouvoir, la visualisation d’une force, le sentiment que la masse est puissante quand elle chante et applaudit en même temps (et c’est pour ça qu’il vaut mieux que le consommateur consomme le produit football devant sa télévision et que tout est fait pour) – rien de tel dans le tourisme, qui est étalement. Etalement des corps, étalement des photos, étalement de l’esprit qui se repose.

Le tourisme est une laideur qui brille.

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Note

  1. C’est-à-dire l’ensemble de ceux qui possèdent le pouvoir de création (du matériel nécessaire à la vie, de l’information, des lois) et travaille en réseau. ↩︎
Photo d’entête : “Slaved” par DualD FlipFlop.

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