Le cliché de la révolution faite par une poignée de conspirateurs provient du précédent russe, qui est loin d’être probant. Flatteur pour le narcissisme de certains « révolutionnaires » qui se croient spécialisés, ce cliché est satisfait le goût du monopole et du vedettariat. Les « chefs » bavardent volontiers sur la spontanéité des masses, mais ils condamnent ou approuvent l’orientation de cette spontanéité selon des critères détenus par eux seuls. Ils réprouvent le peuple quand ce peuple semble désirer des réformes qui n’ont pas l’honneur de leur approbation. Les travailleurs sont aliénés dès qu’ils s’écartent des schémas qui leur feraient plaisir. Cette réintroduction du pouvoir des élites dans la révolution est une des principales causes, en Europe, du tarissement de l’inspiration révolutionnaire.

Jean-François Revel, Ni Marx ni Jésus [1973], p. 153