Quand j’étais enfant et lecteur du bimestriel Mickey Parade, il y avait les histoires de la version nocturne de Donald, ce personnage appelé alors Fantomiald, qui était comme le chaînon manquant entre l’univers enfantin de Disney et celui, adulte, de Marvel. Revêtant son costume de super-héros la nuit, le canard maladroit partait pour des aventures plus croustillantes que celles de Donald, humilié par ses neveux, son oncle, son rival de toujours Gontran et les minauderies de la poule Daisy, et un peu plus construites scénaristiquement parlant que les enquêtes de Mickey, Dingo et Pluto contre les méchants.1 Avant d’évoluer moi-même vers les séries de bande-dessinées nord-américaines, et notamment la saga des mutants X-Men, je dois à Fantomiald (couplé à l’univers des Guerres de l’Etoile ou Rambo) l’inspiration de mes premiers récits écrits au stylo bic sur cahier d’écolier. Ne comptez pas sur moi pour critiquer, donc cette série.

Sauf que j’ai grandi (un peu) et mûri (un peu plus), que les multiples ramifications impossibles des X-Men ont fini par me lasser malgré la diversité des dessins et suis passé plus largement aux romans puis aux essais ou récits biographiques, la réalité étant toujours largement plus intéressante que les pauvres fictions sorties du cerveau d’auteurs jamais à la hauteur de notre bon cher vieux monde plein d’intrigues souterraines, de complots, de mensonges et de falsifications.

Ce qui m’a donc le plus frappé dans le long roman d’Antoine Bello, est son caractère totalement enfantin. Telles les histoires de Fantomiald, Sliv, grand dadais idéaliste, Islandais et progressiste nunuche, se fait enrôler dans une société secrète, le Consortium de Falsification du Réel (CFR, comme le Council on Foreign Relations, hinhinhin), regroupant des espèces de geeks immatures férus de mensonges et de falsifications, qui ont des milliards à leur disposition et une organisation puissante, complexe et riche2, à leur service.

Le but de cette organisation n’est pas clair. Quand les hypothèses les plus niaises ne sont pas évoquées, touillant dans le sucre écœurant d’une sorte de despotisme éclairé progressiste pour gosses amoureux de Greta Thunberg, de lumières franc-maçonnes pour couillons naïfs ou d’idéologie libéral-libertaire sorosienne (sans la drogue, l’avortement, la prostitution ou la pornographie, évidemment – ça ne se fait pas dans les livres pour enfants !), la finalité de toute cette entreprise de mystifications est le seul véritable enjeu des péripéties de Sliv, tout comme le prisonnier de la série de science-fiction dystopique de 1967, Le prisonnier, cherchait à savoir qui est l’agent 001. Mais c’est peu pour tenir en haleine le lecteur, au milieu de cette ambiance un peu molle de série nord-américaine3 aux dialogues convenus et à l’écriture scolaire (genre bon lycéen qui a lu dans sa jeunesse), appliquée mais sans aucune saveur.

L’ensemble des personnages sont caricaturaux comme dans une bande-dessinée, les dessins en moins. Certes, l’auteur crée dès le début une sorte de relation d’amour/répulsion, concurrence/collaboration, avec une Danoise, Lena Thorsten, qui précède partout le héros et qui est comme le méchant Gontran et Daisy à la fois dans l’univers des canards de Disney ; mais dans l’univers des culculs de Bello, cet agent méthodique et froid tellement cliché et adolescent4 ne donne aucun relief à cette vaste niaiserie un rien érudite. Et encore, qui a lu les nouvelles de J.L. Borges ne peut qu’être pris de vertige devant le gouffre séparant les nouvelles philosophiques de l’Argentin d’Adrogué et le roman du grand gamin Bello. A se demander, même, si Antoine Bello n’est pas le pseudonyme d’un auteur fictif cachant un algorithme censé pondre une histoire vaguement policière ou d’espionnage, sur la base de plusieurs scenarii éculés ; il est en tout cas difficile de croire qu’un adulte a véritablement écrit cela. Et que des éditeurs aient accepté de le publier – ou alors le lecteur est-il devenu tellement con qu’on peut lui vendre cette daube comme littérature pour adulte.

J’en ai pourtant lu, un peu, de la littérature pour la jeunesse, du temps que je sortais avec un professeure-documentaliste qui maîtrisait ce catalogue, et j’avoue avoir pleurer à la lecture du récit étrange des Larmes de l’assassin (2003) d’Anne-Laure Bondoux. C’était tout de même d’un meilleur niveau ! En gros, la plus grande falsification du roman est de s’être fait passer pour un roman pour adultes.

Et si on compare avec l’ensemble des faits historiques probablement falsifiés ou événements troubles de l’Histoire, sans parler des faits plus récents qui font encore polémiques et qui peuvent vous valoir encore des histoires auprès des universitaires ou de la justice5, la nullité du truc en 588 pages et encore étendu avec deux suites, Les éclaireurs (2009) et Les producteurs (2015)6… m’en a bouché un coincoin !

Notes

  1. Enfin, d’un point de vue de bourgeois nord-américain. Ariel Dorfman et Armand Mattelart, avait démonté l’idéologie des histoires de Disney dans un Para leer al Pato Donald qui fit date en 1972, et que je dois lire un jour. ↩︎
  2. Et jamais découverte par les multiples agences secrètes étatiques (ben voyons !) ↩︎
  3. Meublées d’amourettes, de conflits de cours d’école, de cette sempiternelle même chanson folk jouée à la guitare déclinée en milliers de sous-versions lassantes, et rehaussés gentiment de quelques décolletés. ↩︎
  4. Cf. les scènes de chamailleries à l’Académie des super-héros discrets qui ont un goût de série pour adolescents. ↩︎
  5. On imagine bien Bello, s’il existe, mort de trouille à l’idée d’en évoquer même un seul dans sa littérature Disney avec du vocabulaire et des expressions d’adultes. A l’heure où Colin Powell est mort, on imagine avec plaisir un faux troisième tome des aventures de Sliv, situé après 2003, où le stupide falsificateur se demanderait si la fiole de substances chimiques hautement dangereuse brandie sans gants en plein cœur d’une assemblée de l’ONU (qu’elle tombe ils meurent tous…), n’est pas un mensonge stratosphérique presque aussi bon que les attentats du 11 septembre 2001 et son incroyable série d’incohérences et d’impossibilités… Et la tête de l’auteur découvrant ce roman signé de son nom, ses dénégations pleurnichardes, les certificats de bienpensance sortis face à l’opinion publique… bref, on aurait des millions et du temps à perdre, ce serait drôle ! ↩︎
  6. Ah les trilogies, ça fait bien ! ↩︎

Photo d’entête : « Ecomusée d’Alsace #4 » par Nicolas Torquet

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