Youssef Hindi est passionnant à écouter et j’ai relayé bon nombre de ses interventions à l’oral sur ce site. Il est tellement intéressant qu’on se demandait s’il n’avait pas tout dit déjà, de sorte que son livre n’était rien d’autre qu’un vade mecum de ses arguments et informations sourcées, voire un appauvrissement de sa pensée, comme cela arrive pour certains individus.

Des problèmes de plan

Après la lecture de L’Autre Zemmour nous avons la réponse. S’il est bien écrit, instructif et qu’il pose sur le papier des informations trouvées de manière plus éparses sur Egalité et Réconciliation ou Strategika, il souffre malheureusement d’erreurs de constructions logiques. En effet, Hindi balance sans cesse entre trois temps :

  1. long : le temps séculaire et mondial de la situation des Juifs dans les sociétés où ils vivent, et l’idée messianique inscrite dans la Torah
  2. moyen : le segment occidental allant de l’Affaire Dreyfus au refus de Jacques Chirac de suivre les Nord-Américains en Irak, en passant par la Seconde Guerre Mondiale, la création de l’État d’Israël, la guerre des 6 jours et Mai 68, puis le 11 septembre 2001 (1894-2003)
  3. court : le segment français allant de la mise en place du néoconservatisme français (Sarkozy, Valls, Zemmour) à la campagne des présidentielles de 2022 (2003-2021)

sans jamais n’arriver à organiser totalement son propos.

Ainsi par exemple, alors qu’il est en train d’expliquer dans le préambule comment Zemmour comme opposant au système est fabriqué par le système lui-même (p. 22-26) en citant financeurs, patrons de chaînes et émissions de télévision qui concernent le temps court et très court, p. 26-27 il fait un intrusion rapide et déroutante dans la question des rapports entre la gémellité raciste du nazisme et du judaïsme en citant Jean Soler, afin de répondre à Zemmour lorsqu’il parlait de « nazislamisme ». Nous sommes au XIXème siècle et au décret Crémieux puis dans les années 1930 et l’affaire Stavinsky au chapitre IV, puis on revient dans le temps court de Zemmour pour retourner au coup d’Etat de 1789 et naviguer entre deux époques entre les pages 63 et 84. Idem p. 137-147, où le lecteur est convié à « une petite introduction aux origines du tribalisme historique » ; ainsi sur la douzaine de pages que compte ce chapitre VIII, seules deux traitent vraiment du sujet annoncé…

Autre problème de construction du texte, les deux premiers chapitres ne font même pas deux pages chacun, ce qui est proprement ridicule, alors qu’un seul chapitre regroupant Zemmour comme berbère, juif et Algérien pour autant de sous-chapitres, eût été plus logique.

Vers une deuxième édition refondue et actualisée ?

Cependant, le problème et l’avantage d’un livre écrit sur une personnalité qui fait l’actualité au moment-même où il est sous les feux de la rampe, est qu’il est très vite daté et qu’on peut donc envisager très naturellement une deuxième édition. De fait, entre le moment où Hindi a écrit son livre, le moment où il est paru et octobre 2021 où je l’ai lu, de l’eau a coulé sous les ponts. Le polémiste Zemmour est notamment (presque) candidat à la présidentielle française 2022, Xavier Poussard de Faits et Documents a révélé les noms des financeurs de la pré-campagne zemmourienne, puis la judaïté de Zemmour a été l’objet de débats entre membres de la tribu1 notamment avec BHL en octobre 2021.2 Autant d’éléments que Hindi pourra intégrer dans une seconde édition mise à jour …et refondue.

D’autant plus que Hindi explique avec brio, depuis l’automne 2021, le rôle d’Eric Zemmour et de son réseau dans le travail de destruction lente du Front National et son remplacement par un national-sionisme néoconservateur sous contrôle de « la vérité si je mens », propos qui est étonnement absent du livre.

Dans cette (première) édition Hindi a divisé son livre en douze chapitres :

  • I. Zemmour le berbère
  • II. Le juif Zemmour
  • III. Zemmour l’Algérien
  • IV. Zemmour et la France, des précédents
  • V. Zemmour le judaïsme et l’assimilation
  • VI. Zemmour et Israël
  • VII. Zemmour et l’Islam
  • VIII. Zemmour presque catholique
  • IX. Zemmour le Gaulois
  • X. Zemmour et la crise économico-financière
  • XI. Zemmour et la politique
  • XII. Zemmour ou l’alternance unique

Je lui propose donc d’aller du plus général au particulier et d’apporter plus de précisions encore aux détails du personnage Zemmour, de son réseau, en analysant plus ses textes (et les citant de manière plus précise, parfois c’est un peu vague) et en retranscrivant sur papier l’ensemble des analyses proposées dans son article « L’opération Zemmour-Macron et le grand remplacement de l’extrême droite » (E&R, 05/10/2021). Dans l’actuelle version, il manque parfois un chaînon entre les tactiques politiques juives séculaires décrites dans la Torah (comme Moïse, Daniel ou Esther qui ont les faveurs des puissants au service de leur peuple) et l’activité décennale du petit agent Zemmour. S’il faut poser la théorie au début, ce n’est qu’une fois montré le fonctionnement du personnage avec des éléments précis et indéniables, que le lecteur peut ensuite rattacher toute la chaîne. Ici, avec les allers-retours permanents dans le temps, il parait parfois assez injuste de faire reposer sur les épaules de l’éditorialiste-candidat les marranes de l’Espagne du XVème siècle ou les textes bibliques, alors que ce n’est ni fou ni faux, quand on l’expose correctement.

Voici ce que pourrait être le plan d’une version refondue et augmentée :

  1. Les Juifs dans le monde et en France en particulier (actuels chap. 4, 5, 6)
    1. Les tactiques ancestrales des Juifs en exil
    2. Le messianisme actif
    3. L’état du projet sioniste depuis la création d’Israël et le rôle de la diaspora
    4. Le positionnement de la « communauté juive organisée » en France, du coup d’Etat de 1789 aux gilets jaunes
  2. Eric Moshe Zemmour avant son entrée en politique (chap. 1, 2, 3, 8 et 9)
    1. Ses origines familiales
    2. Sa jeunesse
    3. Le journaliste qui a grand-remplacé Alain Soral dans les media (2006-2013)
  3. Le réseau néo-conservateur derrière le politicien de media Zemmour (chap. 12)
    1. Le théâtre juif dans la France post-2001 et le réseau néo-conservateur (Sarkozy, Valls, Zemmour ; Macron)
    2. Le rôle de Zemmour dans le segment néoconservateur et ses faux opposants
    3. Le discours du néoconservateur Zemmour via ses livres et chroniques
  4. Le rôle du discours du candidat Zemmour (chap. 7, 10)
    1. Faire réélire le candidat de la Banque : Macron
    2. Permettre le grand-remplacement du nationalisme français, passant des Gaulois Le Pen au national-sionisme3
    3. Maintenir la question juive au centre des débats, via ses faux opposants

Puisque de toute façon nous n’échapperons pas à cette marionnette jusqu’en 2022, j’ai hâte de lire cette deuxième version !

Notes

  1. Il n’est pas un jour sans que Le Monde ne publie un article sur Zemmour, donc on ne pourra tous les citer, mais signalons rien que pour la fin octobre 2021 : « Election présidentielle 2022 : Christian Estrosi appelle la droite à combattre Zemmour “de toutes ses forces” » (25/10/2021), « “Eric Zemmour exploite le sentiment de honte né de Vichy au profit d’une pensée réactionnaire et xénophobe” » (25/10/2021), « Eric Zemmour provoque le malaise chez les Français juifs » (25/10/2021),« “L’extrémisme d’Eric Zemmour n’est pas la limite qui le fera plafonner mais son carburant” » (26/10/2021), « L’extrémisme d’Eric Zemmour n’est pas la limite qui le fera plafonner mais son carburant » (27/10/2021). ↩︎
  2. BHL, « Ce que Zemmour fait au nom juif », La Règle du jeu, 18/10/2021. ↩︎
  3. En gros le contenu de l’article d’octobre 2021. ↩︎

Recension publiée le 27 octobre 2021 – mise à jour le 1er novembre 2021.

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