Tiens, à croire que vous lisez dans mes pensées, Brice Couturier. Alors que j’étais en train de voir comment je pourrais vous assigner en justice pour « plagiats par anticipation » outrageusement répétitifs, tant je suis d’accord avec vos chroniques, voilà que nous divergeons. Ouf !
Ainsi, voir dans les djihadistes des nihilistes me parait une hypothèse intellectuellement paresseuse, sortant de votre poche une sorte de Mal Radical inexplicable qui fait d’eux des Méchants et puis c’est tout.
Et si c’était simplement des révolutionnaires conséquents, les premiers, qui faisaient vraiment du passé « table rase », des ‘gramscistes’ rigoureux en quelque sorte ? En 1789, on n’a pas détruit les églises ni Versailles, résultat : obligé de passer par la béquille de l’Etre Suprême, puis Restauration. Même les Chinois, pendant la Révolution culturelle, n’ont pas détruit les symboles de l’impérialisme. Résultat : le PCC évolue doucement vers une forme de néo-impérialisme. C’est bien la première idée que j’ai eue lorsque je voyais ces petites filles dans la Cité Impériale qui portaient la fameuse coiffe des impératrices : « ils n’y ont pas cru. » Ils ont beau avoir mis la photo de Mao sur la Cité, c’est la Cité qui va finir par l’emporter sur la photo. Ce gros porc de Mao aurait bien pu passer la petite fille dans son lit, si elle était née plus tôt. Mais la petite fille est vivante et la coiffe sur ses cheveux, au milieu des murs intacts de l’Impérialisme, et alors que le régime chinois actuel a ressuscité Confucius – lui, symbole de la vieille Chine qu’il fallait abattre -, c’est le communisme qui va bientôt rejoindre Mao sur son lit de mort, dans son mausolée, là, sur la place Tien An Men, juste en face.
On croyait en France que le régicide était l’acte le plus fort, qu’il suffisait de couper la tête pour que le reste du corps du roi agonise. On se trompait. Même Sartre disait en 1973 que pour réussir une révolution il fallait couper des têtes, beaucoup, énormément, alors que non, pour réussir une révolution il ne faut pas seulement couper la tête de l’ancien régime, les bras et la moitié du corps social qui s’en satisfaisait bien, mais détruire toute l’environnement culturel de l’homme ancien pour qu’il n’ait plus le choix que d’être un homme sans racine ou un Homme Nouveau obligé d’accepter le futur que les Dirigeants inventent pour son bien.
Un leader non seulement se remplace mais un mort doit être vengé. Tuer radicalise l’adversaire, un Temple se reconstruit, pas une culture entière. Plutôt que de s’essayer au génocide, à l’épuration ethnique ou au dépeuplement (qui n’a jamais fonctionné au XXe siècle), il faut maintenir un peuple en esclavage, l’acculturer peu à peu en détruisant et mettre à la place… l’Eglise Catholique l’avait compris, christianisant tout le paganisme qui pouvait l’être.
Ainsi vous pouvez arriver en Irak, les tuer tous, ils auront déjà gagné un peu en saccageant ce qui pouvait l’être. Ils immortalisent leur combat, ce qui est psychologiquement confortable (cf. Erostrate), et efficace pour leur révolution. Les Nazis pensaient le règne du IIIème Reich durerait mille ans – à 1988 ans près ils y étaient ! Les Chinois pensent réaliser le communisme, le vrai, celui qu’on attend depuis 1917, dans 150 ans. Les fous de Hallah n’ont pas arrêté de nombre. Ils travaillent pour l’Eternité. Tout ce qu’ils savent, tout ce qu’ils espèrent, c’est que si eux sont balayés physiquement, s’ils échouent, eux, dans leur entreprise de prise de pouvoir durable, ils préparent le terrain pour d’autres générations. Ils me semblent donc tout le contraire de nihilistes, non ?
Méfions-nous de ceux qui voient loin. Ceux qui pourront réaliser des pactes de sang avec des millions victimes. Ceux qui peuvent aussi faire du présent « table rase », aussi. Certes, le futur ils ne l’auront jamais et il viendra toujours – mais, enfin, les visionnaires…
Photos : “Russia, San Pietroburgo, Ermitage” de Loris Silvio Zecchinato