Dans ce livre édité par Kontre Kulture en 2023, le travail de François Belliot est sérieux, bien rédigé, intelligent, qui dépasse le simple cas du Fonds Marianne – cas en lui-même assez peu important quant au montant détourné et goutte d’eau dans la corruption du régime macronien, ce que son introduction pas trop mal) – pour le replacer dans un contexte plus large. Autrement dit, au-delà du travail de journalisme sérieux consistant à noter les faits, les dates et les noms de ce détournement d’argent aux profits d’associations proches du Pouvoir et servant d’agents [chapitres I à IV inclus], Belliot s’attache à montrer à quoi ce dispositif a servi dans le grand appareil de propagande du régime.
C’est ainsi avec plaisir qu’on découvre le chapitre V qui réinscrit la micro-histoire du Fonds Marianne dans son mezzo-environnement géopolitique. Malheureusement, lorsqu’il évoque la Syrie dans ce chapitre, l’auteur passe beaucoup trop de temps à décrire ce qui s’y est passé entre 2019 et 2021, et n’articule pas assez les meurtres de Samuel Paty à Conflans-Sainte-Honorine en 2020 et Dominique Bernard à Arras en 2023, avec le contexte qu’il décrit. Il présente les deux pièces mais ne les lie pas comme dans un bon puzzle qui donnerait de l’intelligibilité aux meurtres de professeurs en France.
C’est dommage car Belliot aurait pu insister sur la double instrumentalisation des peuples et la double horizontalisation des luttes que le dispositif des commémorations Paty/Bernard révèle. Ainsi, alors qu’au Moyen-Orient l’entité sioniste et à l’Etat profond étasunien, aidés par les Etats-larbins dits « Occidentaux », se servent des différents groupes djihadistes contre les régimes qu’ils veulent faire tomber, n’hésitant pas à fomenter et alimenter des guerres civiles, dans des pays comme la France, ce sont les professeurs qu’on envoie faire face à des populations passablement – et légitimement – énervés par la politique étrangère de leur pays (ou pays d’accueil). Plus que Paty, le cas de Dominique Bernard est plus parlant. Quelques jours après le début d’un nouveau volet de la guerre en Palestine, le 7 octobre 2023, le lendemain d’un discours totalement incohérent de l’employé de banque Macron, un jeune Tchétchène1 voulait tuer un professeur d’Histoire-géographie. C’est un agrégé de lettres modernes qui s’est interposé, mais c’est bien à l’enseignement de l’Histoire-géographie en France, via le premier prof qui passait de son ancien lycée, à quoi le jeune en voulait. Le fait qu’il ait tué Bernard, plutôt bel homme, donc à l’image très vendeuse pour la république qui a parasité son souvenir, permet ainsi de cacher la question de fond du deux poids deux mesures dans l’enseignement où la pleurniche juive est omniprésente et la question palestinienne totalement escamotée. En plus, en collant deux histoires qui n’ont rien à voir ensemble, Paty et la question de la laïcité en France face à la religion musulmane d’un côté et Bernard et la question géopolitique du rapport de soumission de la France face à l’entité sioniste de l’autre, un amalgame anti-musulman est fait. Paty comme Bernard sont des marionnettes et les professeurs, obligés de renouveler chaque année un petit rituel rappelant le sacrifice de leurs collègues face notamment à leurs élèves musulmans.
Plus que des victimes sacrificielles, les professeurs sont même tenus de faire de la délation en cas de tout manquement, lors de ces minutes de la haine/ de l’amour. Ou passer de marionnettes apeurées à indics zélés. Soit trop bêtes (il faut les avoir fréquentés un peu pour avoir vite compris que le corps enseignant est globalement d’une absence de curiosité confondante) soit trop lâches (le concours étant une passoire qui ne laisse passer que les plus dociles et les plus formatés des futurs fonctionnaires), les professeurs se retrouvent à jouer le rôle de kapos du système, d’agents de l’entité sioniste et de l’Etat profond étasunien, eux-mêmes mis en situation de petite guerre civile au sein de l’Education Nationale.
Tout cela est latent chez Belliot, les deux pièces du puzzle ne demandant qu’à être creusées un peu pour qu’une pièce mâle puisse s’accrocher à la pièce femelle et former un tout bien uni. Il manque donc un dernier polissage à la chaine du raisonnement pour que le livre soit parfait.
Note
- On notera qu’en plus il était d’origine russe, mais la propagande n’a pas insisté sur le fait, l’ennemi à viser étant le Musulman (donc le Syrien et le Palestinien ou l’Iranien par association) ↩︎
Photo d’entête : Marlène Schiappa, par UN Women Europe and Central Asia