Accueil » Organisations sociales » Pourquoi les pires doivent arriver en haut

Le chapitre X de La route de la servitude s’appelle, en anglais, “Why the worst get on top”, qui a été traduit en français par la « sélection par le bas ». Il explique, entre autres, les difficultés des gens raisonnables (donc plein de doutes) par rapport aux fanatiques, des réalistes face aux dogmatiques, ainsi que l’apparition de dirigeants charismatiques pourtant initialement poussés par un tout petit groupe.

Il y a sans doute deux défauts généraux dans cet ouvrage qu’on retrouve particulièrement dans ce chapitre.

D’une part, Hayek ne prend en compte, dans son livre « politique », que l’aspect exotérique de la politique, et ne considère jamais les groupes cachés mais existant de manière internationale, comme les Francs-maçons, et ne peut donc penser, en 1944, ce qu’Orwell pourra développer en 1948 (en s’inspirant de la Route de la servitude), via le texte théorique qu’il attribue à Goldstein dans 1984, c’est-à-dire qu’au-delà des différents régimes, il y a peut-être une oligarchie internationale qui se sert des uns comme des autres et que, au-delà d’être des systèmes concurrents qui s’affrontent soit pour l’hégémonie mondiale, soit pour contraindre l’/les autre(s) dans des frontières considérées comme acceptables, les différents sous-systèmes font partie d’un même système-monde. S’il montre bien la gémellité du communisme et du nazisme, et donc les fausses oppositions entre ces deux formes de collectivisme, il ne voit pas les vraies oppositions qui peuvent se cacher derrière les oppositions , vraies et fausses, de façade.

De même il ne voit pas venir le sionisme. Ce parce que, de manière générale, en tant qu’agnostique et mengerien1, il ne prend pas en compte l’aspect religieux des organisations sociales, comme le faisaient des Max Weber ou des Werner Sombart. L’approche hayekienne est anthropologique et épistémologique, ce qui lui permet de discerner deux grands blocs de théories politiques, celles qui reconnaissent l’existence de l’individu et les valeurs qu’on lui associe, et ceux qui ne reconnaissent que le groupe social en son tout, les holistes. Mais il rate ainsi ce que Weber avait étudié toute sa vie : l’inscription historique des différentes idées et pratiques, et notamment les arrière-plans culturalo-religieux dans lesquels ils apparaissent. Si donc Hayek ne voit pas le développement du sionisme et ne le place pas aux côtés des deux grands régimes dont il s’attache à réfuter les croyances, notamment du nazisme dont il est le double, et encore plus proche de celui-ci que ne l’est le communisme2, ce n’est pas simplement parce qu’en 1944 le mythe shoatique n’est pas encore apparu au point que l’ONU installe les sionistes sur une terre d’où ils peuvent établir l’embryon d’un empire. De fait, même après, Hayek ne voit pas le problème sioniste du tout, tout au long de sa vie, victime d’une fausse vision binaire, capitalisme (Occident) vs. communisme (“Orient”), là où en 1944, il opposait l’Angleterre (l’individualisme, le libéralisme) à l’Allemagne (le collectivisme).

Et comme il ne s’intéresse pas à ce qui se passe derrière le rideau des discours politiques mais tâche de montrer l’impossibilité des collectivismes à partir de leur propre théorie exotérique, il ne voit pas les lignes de fractures religieuses en général, et les manipulations sionistes en particulier, derrière différents événements historiques. Tout comme il ne voit pas le rôle des banquiers internationaux, et l’arrière-plan religieux et messianiques des financiers, qui n’agissent pas selon une rationalité formelle et compréhensible d’un point de vue utilitariste, mais selon des visions religieuses.3

C’est notamment en prenant le problème de la prédestination que, dans L’esprit du capitalisme, Max Weber arrive à expliquer ce qui sans cela resterait un paradoxe, pourquoi le capitalisme naitrait au sein de sectes qui poussent ses individus à la frugalité, et donc pourquoi les pères du capitalisme accumulent de l’argent sans le dépenser.4

C’est en prenant en compte tout cela qu’on peut concevoir que des sociétés secrètes ou des groupes religieux puissent vouloir régner sur des peuples en prônant ce qui est le pire pour eux ou en sélectionnant les pires.

En effet, des groupes qui fonctionnent dans le secret ont aussi des critères secrets pour sélectionner ses membres. Ceux-ci sont d’autant plus fragilisés que rien n’étant public, dès lors qu’ils avancent dans l’initiation et donc dans la complicité d’actes de plus en plus illégaux qui les lient au groupe secret, ils ne peuvent rien dire et ne peuvent plus reculer. Ceux qui avancent sont donc les moins moraux et les plus mouillés. Les autres resteront dans un état de faible complicité et donc de faible connaissance de ce que fait le groupe. Il est donc tout à fait nécessaire que cela soit les pires, vu ce que la sélection se fait par le pire qu’on peut leur faire faire, ou les pires actions passées5 qu’on peut le faire payer.

Hayek n’a sans doute pas compris que ce qu’il disait à propos des groupes politiques, à savoir qu’ils favorisaient les théories plus simplistes, les groupes les plus fanatiques et les politiciens les plus démagogiques, est aussi vrai du monde culturel. Et même plus, car il ne s’agit pas d’une sélection lamarckienne des pires, mais d’une sélection par une main invisible mais existante de la part du monde culturel. Ceci s’explique par plusieurs facteurs.

Exemples de “pires”, repentis ou pénitents que l’oligarchie fait monter dans l’élite publique

Je proposerais ici quelques exemples qui permettront de comprendre ce phénomène avec :

Photo d’entête : “King Kong Empire State” par kitchener.lord

Notes

  1. Le monde mengerien est un monde qui, pour échapper à l’historicisme de l’école historique allemande et pour se vouloir universaliste, est un monde relativement éthéré et logique, ce que Ludwig von Mises poussera jusqu’au bout, ce que Friedrich Hayek ne fait pas, sans pour autant assez retourner aux questions historiques – mais dans une perspective universaliste – comme le faisait Max Weber. ↩︎
  2. A moins de penser que le communisme est un sionisme laïc pensé par un fils de rabbin. ↩︎
  3. C’est d’ailleurs un des points où la théorie de Goldstein pèche aussi, parce qu’il ne dit pas pourquoi Grand Frère et les siens veulent régner d’une telle manière et pourquoi ils ne peuvent pas instaurer une société contrôlée et une dictature bienveillante sans avoir besoin de se cacher. Après tout quand il écrit le Léviathan, Hobbes explique ses raisons publiquement et pense ainsi régler le problème de la guerre civile. Tout comme Adolf Hitler présente ses thèses sur le Führerprinzip sans aucun double discours machiavélique. Pourquoi l’élite de 1984, ne pourrait-elle pas se présenter comme telle et satisfaire les gens ainsi débarrassés, comme le voulait Benjamin Constant avec sa « liberté des modernes », et comme le pensera Hayek dans les années 1960-70, de la politique ? ↩︎
  4. Ou au contraire, ce qui pourrait remettre largement en cause les postulats simplistes d’un libéral comme Pascal Salin, dans Libéralisme (2000), quand il milite en faveur de la privatisation de l’écologie ou de l’art, en partant du principe qu’un propriétaire voudra toujours récupérer de l’argent et qu’il aura donc intérêt, a minima, à conserver son bien. C’est faire fi des nombreuses raisons qui peuvent pousser un homme à acheter un bien pour le détruire, le priver aux autres, ou le corrompre, s’il poursuit des fins dans lesquelles le calcul économique n’entre pas et qui dépasse les considérations propres à ce monde-ci. ↩︎
  5. Pire du point de vue du groupe en question. ↩︎