Comme beaucoup, je suis obligé de fréquenter régulièrement des jeunes donneurs de leçon, qui, agaillardis par la pénible lecture d’un Stéphane Hessel ou de la page débat de la presse féminine1, vient de temps en temps s’indigner héroïquement et en public, de l’immoralité et – osons ! – de l’indécence des mariages princiers. Les coiffeurs sortant rarement d’une thèse au nom ronflant n’intéressant que cinq personnes en France2, les salons de coiffures sont des fabuleux endroits de mixité sociale où la France d’en bas et de Navarre se réunit ponctuellement pour deviser entre deux coups de ciseaux. Il y est aussi impossible de simplement ignorer les audacieux lancés de clichés effectués avec la fierté du génie qui viendrait de gagner le concours Lépine, lorsque vous êtes coincés assis dans un fauteuil les cheveux encore à moitié coupés (impossible de partir en courant !), et qu’on vous demande votre avis.

Nous sommes tous, quelque part, des aristos !

Il faut ainsi, à défaut d’un vague « oui, oui » qui serait trop froid, bien répondre que nous sommes tous des aristocrates à notre niveau, nous intéressant à des débats aussi peu vitaux comme celui de savoir si Taye Taiwo ferait mieux de garder coups par derrière pour les lillois plutôt que les négligeables parisiens, que nous consacrons égoïstement une part non négligeable de nos ressources individuelles à la culture alors que des gens meurent de faim sur Terre, aimons des choses aussi futiles que l’Art alors que c’est la crise, etc. Et il y a même des communistes qui n’ont rien trouvé de mieux que de faire de la poésie et du surréalisme… c’te bande de sociaux-traitres ! Alors que le Mozart3 du débroussaillage capillaire s’apprête cependant à vous rétorquer que l’on n’est pas obligé d’aller jusqu’au bout de la logique de la fraternité et du don de soi, ni de donner dans l’égalitarisme conséquent pour sauver sa bonne conscience, vous lui rappelez qu’en tant que français il est au malheureux de certains des pays les plus pauvres, ce que William et Kate sont au français ou à l’anglais moyen : un nanti. Puis vous le lancez sur les tunisiens injustement refoulés à la frontière pour tâter jusqu’où va son envie de s’engager pour les plus défavorisés en usant de son lundi de repos pour aller manifester en faveur de ces pauvres hères, qui risquent, dans l’espoir d’un improbable avenir dans les pays riches, infiniment fois plus que ce que jamais ce poulet de batterie à la coiffure faussement alternative et élevé en temps de paix n’osera jamais entreprendre, pas même pour se divertir avec de l’adrénaline sans risque (se tirer dessus au paintball, sauter dans le vide à l’élastique), avec risque limité (manger à Quick, les manèges de Disneyland, faire l’amour avec un préservatif et un partenaire qu’on connait peu) ou virtuel (croire aux profil Meetic ou tenter les rencontres originales sur Chatroulette). D’ailleurs, vous lui exposer rapidement votre idée d’établissement d’un fichier (un de plus !) recensant tous les crétins oisifs qui n’ont rien d’autres à faire que regarder la télévision avec les 4h de réduction de temps de travail qu’Aubry leur a offert, et qu’on devrait occuper tous ces gens-là à des travaux fo… solidaires et citoyens. « Alors, il est bon ton os de bonne conscience ?», vous démangerait-t-il de lui demander, s’il n’avait pas votre tête entre ses mains plus armées qu’une bande d’étudiants de la Ben Laden University en plein exercice pratique…

Rien de grand n’a été fait sans passion …nés fortunés

S’il se rebiffe, rajoutez quand même qu’en tirant les conclusions des réflexions de Hayek concernant l’utile indépendance des gens dégagés de tous besoins urgents (qu’on appelle aussi vulgairement les riches) – voir chapitre 8 de La constitution de la liberté de Friedrich Hayek – on peut observer que ce sont aussi ceux qui contribuent le plus au patrimoine mondial. On vient des quatre coins du monde visiter des tombeaux grandioses (le Taj Mahal et les pyramides), des antres du gaspille ostentatoire et narcissique comme Versailles ou les expositions universelles : qu’ont laissé de mémorable les régimes dont l’idéal est de construire des HLM grisâtres où l’on déprime tous collectivement et de manière très égalitaire ? Depuis au moins Feuerbach, on ne sait pas très bien si les cathédrales ont été construites pour Dieu ou l’amour de l’architecture, mais on sait que ces édifices n’étaient pas faits pour servir la soupe populaire, à moins qu’à l’époque on eut pu se nourrir avec la paix du Christ, une gorgée de vin et une chips dans le ventre… Le Kremlin n’a pas été construit par les soviétiques mais les tsars, et loin de détruire ces traces de l’oppression passée, les représentants du peuple se sont empressés d’y inscrire leur propre pouvoir. D’ailleurs quand on voit dans quelle mollesse bourgeoise ont terminé des gens comme le guérillero compagnon du Che Régis Debray ou la génération de Mai 68 – qui avaient plein de théories marxistes et une autre trempe que lui, petit intellectuel autodidacte fort de la lecture d’un recueil de citations philosophiques en terminale et même pas foutu de terminer un Super Mario sans tricher – ce n’est pas un membre de la génération Loft Story qui va vous donner des leçons, à vous qui avez connu la première guerre du Golfe en direct sur la cinquième avec Jean-Claude Bourret. Merde !

Comment tirer avantage de l’événement

S’il est socialiste, il s’en ira en boudant chercher des débats contradictoires avec des gens d’accord avec lui. S’il est un rien ouvert d’esprit vous pourrez continuer la conversation en soulignant que, de plus, l’industrie autour du Royal Wedding est, comme les produits dérivés Johnny Hallyday, Céline Dion ou jadis les gilets jaunes sur les sièges avant des voitures, un formidable business comme un infaillible révélateur de bons gros lourds4. Et puis impressionnez-le, en lui racontant comment vous avez vous-même pimenté chaque moment du long protocole ennuyeux de vendredi, en cédant au nouvel opium du pari en ligne qui fera d’un peu tout et n’importe quoi, ce jour-là, l’occasion d’autant de micro-drames personnels. De sorte que vendredi soir, vous ne savez pas encore si vous serez un pauvre clochard céleste détaché du confort sordide des biens matériels, soit un nouveau riche vaniteux dilapidant avec légèreté son argent avec des vautours avides et des blondes plantureuses intéressées.

William et Kate : pauvres victimes d’une télé-réalité sans fin

Comme il n’ose vous demander où aurait lieu l’éventuelle orgie (dans l’espoir secret de vous y retrouver pour profiter de vos largesses), vous lui rappelez enfin que votre sort à vous, petits anonymes ignorés même des télé-réalités, est plus enviable que celui de ces deux tourtereaux poussés sur le devant de la scène sans relâche, sans contrat d’intermittents du spectacle… Lorsque lui-même mettra un peu de relief dans sa vie monotone en trompant sa banale copine, lors d’une soirée arrosée au Macumba du coin passée en compagnie de sa collègue de travail, la blonde décolorée, là, qui n’est pas mal du tout de dos (vous ne manquez pas de lui faire quelques allusions pour lui soutirer des infos à son propos), le pauvre Willy ne pourra pas faire une petite incartade sans que les tabloïds n’étalent ses ébats. Voir Bill Clinton, Berlusconi, et DSK : impossible de faire son métier d’homme zemmourien tranquille dans ces conditions-là, foutue société castratrice. Tu te déguises en nazi pour faire marrer les potes : scandale. Kate se méfiera de tous les ponts et aura Elisabeth II dans les pattes (on a connu belle-famille plus cool), lorsqu’elle ne devra pas faire oublier le charisme d’une belle-mère défunte avec qui on ne cesse de la comparer. Bref, l’horreur : eux, les rois du monde ont tout ce qu’ils veulent, mais nous ont fait l’amour, etc. et puis l’argent ne fait pas le bonheur5. Enfin, ils font rêver les filles oiseuses nourries aux contes de fée – vous sentez bien au regard en coin que la collègue (un rien moins sympa de face) vous lance, qu’elle a compris que vous maitrisez la psychologie féminine aussi bien que John Gray – et nous, les hommes, nous aurons peut-être une sextape pirate de la nuit de noce pour qu’on puisse tous un peu participer à leur bonheur. Pas mal hein, la jeune roturière future reine d’Angleterre, lui lancez-vous sourdement d’un petit clin d’œil entendu. Mais lui n’aura pas de pourboire : cette pratique conservée par le consommateur en attribuant (à certains travailleurs) un peu d’argent en plus du tarif convenu et accepté, n’est qu’un vieux reliquat de répugnante vanité aristocratique, misérable façon d’avilir la personne en face en lui extorquant une reconnaissance là où l’échange laissait les deux partis en parfaite égalité. Vous lui laissez réfléchir à cette question jusqu’au mois prochain, la tête pas mieux faite mais les cheveux plus court, en remerciant William et Kate de vous avoir occupé l’esprit pendant ce moment prosaïque …

Notes

  1. Page qui fait que celle-ci est intellectuellement plus ambitieuse que les presses sportive, carrossière, geek et pro-silicone réunies. ↩︎
  2. Elles-mêmes divisées en trois groupes irrémédiablement fâchées pour des raisons que le commun des mortels a du mal à comprendre. ↩︎
  3. Mais Mozart de l’opéra-rock, pas celui de Salzburg, entendons-nous bien. ↩︎
  4. Exception faite de votre copine et de votre mère qui ont acheté leur babiole pour le second degré… ↩︎
  5. Conseillez-lui le dernier Klapish, des gens comme lui en sont le cœur de cible : il va adorer ! ↩︎

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