Clémence Isaure est un personnage médiéval semi-légendaire, à qui on attribue la fondation ou la restauration des Jeux Floraux de Toulouse au début du XVe siècle, grâce à un legs par lequel la ville de Toulouse décernerait chaque année des fleurs d’or et d’argent aux meilleurs poètes.

D’après les Wikipédiens

Dame Clémence

Son existence a été critiquée dès le XVIIIème siècle car on n’a jamais pu découvrir son testament dans les archives capitulaires, les officines notariales, les greffes du sénéchal ou du parlement. S’il n’a pas été possible de trouver un testament de Dame Clémence Isaure dont le nom n’apparaît qu’au milieu du XVIème siècle, il a été trouvé dans le registre des comptes municipaux de la ville de Toulouse pour l’année capitulaire 1488-1489 une citation d’une Dame Clémence faite par Bertrand de Brucelles, trésorier de la ville.

Le baron Desazars de Montgailhard a fait remarquer que le nom de la Dame Clémence ou Clémence Isaure n’apparaît jamais dans le registre de Guilhem de Galhac, mainteneur du Consistori del Gay Saber, qui se termine en 1484.

Une note dans les archives de l’Académie des Jeux Floraux cite une pièce comptable de l’année 1502-1503 avec la mention : a la honor de dona Clemensa, fondeyris de la Gaya Sciensa. Mais ce document n’a jamais été trouvé. Le testament de la Dame Clémence est cité dans le livre de commentaires du Raynutius de Guillaume Benoît, docteur en droit et en décrets, régent de l’université de Cahors en 1499, conseiller au parlement de Bordeaux et de Toulouse, mort en 1516. Ce livre a été publié après sa mort, en 1520, puis réimprimé plusieurs fois.

Pour répondre à la critique de Charles Lagane, l’abbé d’Héliot présente en 1774 un mémoire sur Clémence Isaure devant l’Académie des Sciences, Inscriptions et Belles Lettres de Toulouse dans lequel il cite les Commentaires sur les Pandectes florentines d’Antoine Syphrien publié à Lyon en 1550 où il cite un monument élevé à la suite du testament de Dame Clémence.

Le Livre Rouge se trouvant dans les archives de l’Académie des Jeux Floraux donne des informations de 1513 jusqu’en 1583. Il permet de suivre les transformations du Consistori del Gay Saber en Collège de la Science et Art de la rhétorique et de poésie. Il commence par :« Ce présent registre des Délibérations et autres actes faictes au Colliège intitulé de l’Art et Science de la Rétorique, autrement dict de la Gaye Science, fondé à Tholoze par feue DAME CLÉMENCE de bonne mémoire, a esté encommencé à mettre en œuvre au moys de mars mil cinq cens cinquante  » ; le texte se poursuit en citant le chancelier, le vice-chancelier, les mainteneurs et les maîtres docteurs. Ce texte attribue la fondation du Collège de l’Art et Science de la Rhétorique qui a succédé au Consistori del Gay Saber et à La Sobregaya Companhia Dels VII Trobadors de Tolosa. La participation aux décisions du Collège s’est élargi aux maîtres docteurs, le français et le latin ont remplacé la langue d’oc. Ce texte cite Dame Clémence mais il montre que la dépense faite pour les prix n’a pas changé et à aucun moment on ne cite le testament de Dame Clémence, même dans le mandement de 1489 pourtant contemporain de la peinture de Dame Clémence faite par Jacques du Moustiers à la Maison commune. C’est en 1487 qu’est prise l’habitude de faire un discours en latin le 3 mai, d’abord prononcé par des religieux, puis par des écoliers à partir de 1528. Pour intéresser la jeunesse à la poésie, le Consistoire a créé une « Giroflée d’argent » en 1498, une « Pensée extraordinaire » en 1501, une « Marguerite extraordinaire » en 1504, puis de nouveau une « Giroflée » en 1508, 1511, 1515, 1520 et 1574. C’est à partir de 1528 qu’on constate que ce discours s’est transformé en éloge de « Dame Clémence ».

Dame Clémence devient Dame Clémence Isaure. Création d’un mythe

Dans leur volonté de rendre crédible la légende de Dame Clémence, une statue de femme se trouvant sur un tombeau de l’église Notre-Dame-de-la-Daurade est apportée dans le Grand Consistoire de la Maison Commune. Une ballade de Pierre de Saint-Anian, datée du 3 mai 1549, célèbre ce transport. Elle est intitulée : « Ballade sur l’épitaphe de Dame Clémence Isaur, trouvé à son sépulchre de la Daurade, qui institua les Jeux Floraux à Tholose, de laquelle avons la statue de marbre céans apportée dudict sépulchre ». En 1557, Pierre de Garros écrit un sonnet sur le même sujet. La statue est retouchée d’après un constat fait le 7 août 1627. Pour les membres du collège, cette statue provient de l’église de la Daurade et serait celui de Dame Clémence de la famille Ysalguier dont plusieurs de ses membres ont été Capitouls. Ernest Roschach a trouvé à la Bibliothèque nationale le testament de dame Bertrande Ysalguier, daté de 1348, demandant à être inhumée dans l’église de la Daurade, près de son mari Pierre Ysalguier. On trouve un Barthélemi Ysalguier parmi les sept troubadours en 1355. La statue qui a été amenée à l’hôtel de ville et placée dans le Grand Consistoire pour commémorer la fondation du collège de rhétorique représente une dame du XIVème siècle et non de la fin du XVème siècle. L’épitaphe conservée a un style copiant celui des tombeaux romains et semble postérieure à 1534 car il reprend des formes se trouvant dans le livre Recueil d’inscriptions de la sacro-sainte antiquité de Peter Bienewitz paru à cette date. Peu de temps après, Jean Bodin, régent de l’université de Toulouse, fait un discours vantant les qualités de Dame Isaure, bienfaitrice de la ville de Toulouse et demandant aux Capitouls et aux habitants de Toulouse de faire des legs à l’université. Guillaume Catel rappelle dans Mémoire de l’histoire du Languedoc que certaines personnes affirmaient que cette épitaphe avait été écrite par Jean Bodin en 1557, mais lui-même l’attribue à Marin de Gascons, Capitoul en 1556 et 1557, puis historiographe de la ville entre 1563 et 1576. Dans ce même texte, Guillaume Catel affirme que « jamais Dame Clémence que l’on dit fondatrice de ces Jeux n’a esté au monde ».

En 1562 de véritables combats de rue se produisent à Toulouse entre catholiques et calvinistes. Le 13 mai 1562, les protestants s’emparent de plusieurs lieux. Le parlement avisé prend des mesures le lendemain. Les huit capitouls protestants sont destitués et remplacés par huit capitouls catholiques. Les combats durent jusqu’au 17 mai. Pendant plusieurs mois il ne se passe pas de jours sans que des têtes tombent entraînant des représailles aux alentours. Catherine de Médicis signe la paix d’Amboise en mars 1563. La visite du roi Charles IX à Toulouse, en février 1565, a été l’occasion de fêtes pendant lesquelles des décors ont rappelé les actions de Dame Clémence.

En 1562, tous les mainteneurs sont des membres du parlement. Tous, sauf Jean Coignard, étaient calvinistes et la plupart ont dû quitter Toulouse. Les jeux n’ont pu se tenir en 1563 et 1568. Le 1er avril 1569, la semonce est faite par le seul mainteneur restant, Charles Benoist de Sépet qui demandant aux Capitouls d’ajourner les jeux. Ceux-ci acceptèrent mais décidèrent de combler les vides en nommant le chancelier, le vice-chanceler et quatre mainteneurs malgré l’opposition du seul mainteneur présent mais il dut finalement accepter cette intervention des capitouls ligueurs dans les nominations de membres du collège de Rhétorique. Après les troubles de la Ligue et les suites du massacre de la Saint-Barthélemy, le Collège de Rhétorique se réunit pour la semonce le 1er avril 1573 malgré les troubles. C’est dans le compte-rendu de cette réunion qu’apparaît pour la première fois le nom de Dame Clémence de Ysalguy qu’on peut rattacher à la famille Ysalguier. En 1575 que Dame Clémence prend le nom de Dame Clémence Isaure, dans le « Chant royal » de François de Clary qui a été premier président du parlement de Toulouse de 1611 à 1615. Jean Papire Masson va poursuivre l’œuvre de construction de la légende de Dame Clémence Isaure commencée par Marin de Gascons en rédigeant l’Éloge de Clémence Isaure en 1594. Pierre de Caseneuve a rédigé un traité sur L’origine des Jeux-fleureaux de Toulouse publié après sa mort par Monsieur Medon en 1659 dans lequel il montre que les Jeux Floraux n’ont pas été créés par Clémence Isaure mais par les sept troubadours.1

D’après Richard Khaitzine

Une cinquantaine d’année après la date supposée de la mort de Clémence Isaure, un litige s’éleva entre les membre de la Companhia et ceux de la municipalité au sujet de l’une des clauses du testament. Le juge en charge du dossier réclama l’original du document. Personne ne fut en mesure de le fournir. Au XVIème siècle, l’affaire rebondit. Les historiens constatèrent que des poèmes attribués à Clémence Isaure n’existaient qube sous la forme de copies. Dans le même temps, on s’aperçut qu’il n’existait aucune trace de son père ni de ses ascendants. Il fut établie que le comte de Toulouse, Isauret était un personnage n’ayant jamais existé. On découvrit que le mausolée de Clémence Isaure avait été construit un siècle après la mort de la Dame. Les quatre marchés dont on lui attribuait la fondation existaient bien avant la date supposée de sa naissance. Force fut d’admettre que la célbère Clémence Isaure n’était qu’une fiction, un personnage fabriqué de toute pièces pour les besoins de la cause, une cause aisément reconnaissable sous le voile de l’allégorie.

Clémence Isaure fut une sorte d’avatar de la Dame des Troubadours. Elle pratiquait la chasteté, ce qui implique qu’elle était pure. Elle rejeta le mariage, tout comme les Cathares, et de plus elle excellait dans le maniement de la Gaye Science, langage à double entendement.

Selon la légende, (…) Clémence était fille de Lucius, autrement dit, elle était fille de la lumière. Voilà une appellation qui n’est pas sans évoquer celle que portent les francs-maçons : les fils de la lumière. Est-ce à dire que le personnage fut inventé par une société discrète ? Clémence Isaure fut effectivement l’œuvre d’une Massénie, ancêtre de la Maçonnerie. Ceci explique pourquoi le portrait de la Dame nous la montre dans un temple possédant deux colonnes, dont les chapiteaux sont en forme de lis. On voit également, sur ce portrait que le pavé est mosaïque, en forme d’échiquier noir et blanc. Le fronton est orné d’un Delta, autre symbole repris par la Maçonnerie.

L’extraordinaire de cette mystification réside dans le fait que la population de Toulouse a cru à la véracité de cette histoire durant des siècles. Mais peu importe

Le langage des oiseaux [1996], ch. 7 : Galéjade et Gaye Science, Paris, Dervy/Poche, 2014, 60-61

Note

  1. D’après l’article du Wikipédia francophone, du 21 mars 2019. ↩︎

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *