Manipuler l’Histoire : nous voler notre identité
La formule de George Orwell, « celui qui contrôle le passé contrôle l’avenir. Celui qui contrôle le présent contrôle le passé » pourrait suffire à expliquer l’importance que revêt la question historique pour les groupes sociaux et pour les individus qui les composent. Chaque pouvoir écrit et réécrit l’Histoire de la façon qui sert ses intérêts et ce travail de faussaire, loin d’être l’apanage des collectivismes du XXe siècle auxquels Hayek s’opposait, loin d’être le propre des sociétés d’un futur proche comme dans 1984, c’est-à-dire notre présent, a sans doute été une activité que chaque époque et chaque pouvoir durable a entrepris. Nous devons néanmoins tâcher de comprendre le passé pour tenter de comprendre notre présent. Sous les multiples couches de manipulations se cache le secret de notre identité, des clefs et des moteurs de l’Histoire et ce travail d’historien est le travail fondamental de toute science humaine.
Des conséquences pratiques
Cette manipulation a aussi des conséquences pratiques. Nous sommes ainsi parfois sommés de condamner les agissements de nos ancêtres et sommes élevés dans la détestation de notre Histoire, lorsque nous ne recevons pas l’injonction de nous repentir collectivement. Cette manipulation de la façon dont nous nous appréhendons à des conséquences culturelles fortes et imprègnent non seulement la production intellectuelle mais les mœurs et les institutions.
Mais il y a aussi des conséquences pratiques économiques, par le biais du versement de dédommagements de guerre et l’historien est alors comme l’expert d’une compagnie d’assurance, chargé de définir combien le vaincu – celui qui ne maîtrise plus la narration – devra au vainqueur. L’existence-même d’Etat est dépendante de ces versements, sinon leur création provient de cette narration comme on a redécoupé l’Europe en 1815, en 1918, en 1945 ou qu’on a installé des colonies juives en Palestine sous prétexte d’une vieille falsification de textes qu’on appelle la Torah et qui sert aujourd’hui d’acte de propriété grotesque auquel les grandes puissances font semblant de croire.
En quoi manipuler l’Histoire empêche la culture d’échapper aux constructivistes faussaires ? Est-ce que l’ensemble des théories alternatives, complotismes ou manipulationnismes qui apparaissent (surtout sur Internet) sont une forme de réponse spontanée à ces tentatives séculaires de maintenir les êtres humains dans l’ignorance ou de créer des narrations officielles qui tiennent plus du roman que de la vérité historique, fût-ce avec des appareils critiques et des notes de bas de page ? Sommes-nous contraints d’être pris en étau entre les faussaires et les ignorants, des forgeurs de mensonges et des affabulateurs involontaires qui se dépatouillent au milieu des bouts de mensonges et des morceaux d’Histoire rétablie, mal liés par une imagination débordante et impossible à réorganiser dans un grand tout ? Si cela était vrai, si les faussaires avaient perdu la main et qu’il leur fallait la reprendre, nous allons vers (ou sommes dans) un chaos informationnel dans lequel nous pouvons imaginer que des bureaux de faussaires, les uns étatiques, les autres privés ou confessionnels, mélangent vraies et fausses informations pour nuire à la partie réelle en l’associant à des choses fantaisistes, ou diffusent un flot toujours plus grand de faussaires et d’idiots utiles de l’erreur qu’on laisse dire n’importe quoi ou qu’on aide même à dire des bêtises en les flattant et en leur offrant parfois les moyens de continuer leur ‘œuvre’… Et ce jusqu’à ce que les gens, perdus, se réfugient dans la consultation de sites “labellisés” et le plus souvent étatiques, qui offrent aux populations, à défaut de la vérité, une narration unifiée et utile pour ceux qui veulent faire carrière, c’est-à-dire qu’importe ce qu’ils pensent de la fausseté de l’Histoire qu’on leur raconte, ils savent qu’on attend d’eux qu’ils fassent semblant de la croire, l’ânonnent pendant leur scolarité, ne disent rien de différent ensuite, et agissent comme s’ils adhéraient intimement ?
Dans tous les cas, même si l’édition numérique offre de nombreux avantages sur le papier, il parait important de garder le plus possible de textes sous forme papier contre le risque d’un monde 404.