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Catallaxie.net est – comme la reprise du concept hayekien de catallaxie le laisse entendre de manière transparente – un site consacré au paradigme ‘autrichien’ en général et plus particulièrement à l’idée d’ordre spontané, dont j’essaye, bien que cela soit fait ponctuellement et de manière évidemment non-exhaustive, de partager des réflexions, des textes ou d’annoncer des parutions de livres intéressants, qui permettent à l’internaute d’en découvrir les concepts ou textes fondamentaux. Ces ressources peuvent s’inscrire dans la filiation du paradigme ou le critiquer, pourvu qu’elles soient intéressantes.

Le site pourra plus rarement héberger des textes abordant l’actualité afin de l’éclairer d’une réflexion autrichienne, pourvu que celle-ci garde un point de vue critique, c’est-à-dire à l’aune de recherches les plus éloignées possible de logiques partisanes.

Paradigme autrichien

On pourra s’étonner de l’usage de la notion un rien précieuse de ‘paradigme autrichien’. Il permet cependant d’opérer deux distinguos nécessaires.

… et non pas libéralisme

Premièrement avec le libéralisme. En effet, celui-ci a sa propre histoire et une extension très large, et si les grandes figures de la dite école autrichienne au XXe siècle, Ludwig von Mises, Friedrich Hayek ou Murray Rothbard, se sont volontiers dits libéraux, leurs positions n’épuisent pas toutes les implications organisationnelles ou politiques qu’on peut tirer des idées séminales de Carl Menger.

Friedrich Hayek a par exemple réuni dans la Société du Mont-Pèlerin, dès 1947, un ensemble de penseurs assumant sans complexes l’héritage du libéralisme classique. Or les trois courants présents dans cette société de pensée, à savoir l’école autrichienne, l’école de Chicago et les ordolibéraux allemands, ont des fondements épistémologiques très différents ou des positions variées et parfois opposées sur de nombreux sujets comme le rôle des syndicats, celui de l’Etat, la temporalité des ruptures sociales, etc.

Comme le montre cet exemple, il n’est pas si facile de dresser une grande frontière idéologique qui mettrait dans un même ensemble tous les (néo-)libéraux, où l’on serait tenté parfois de compter John Maynard Keynes. Les grands auteurs autrichiens ont eu des positions politiques les plus diverses, de l’interventionnisme de Friedrich von Wieser et Hans Meyer à l’anarcho-capitalisme de Murray Rothbard, en passant par une certaine défense de la monarchie chez Hans-Hermann Hoppe ou le minarchisme de Friedrich Hayek ou Ludwig von Mises.

Il est donc important de garder toute cette richesse parfois contradictoire au sein de l’école plutôt que de resserrer la catégorisation et perdre des divergences potentiellement fécondes, et de se garder de classements hâtifs ou eux-mêmes orientés.

…et non pas école autrichienne

Dans la même optique que par rapport au libéralisme, c’est pour éviter les questions de frontières que la notion d’école n’est pas reprise ici. Une partie de ma thèse s’attache à discuter la taxonomie qu’on peut établir autour du paradigme autrichien. Les positions sont variées, comme toujours. De manière annexe à mes recherches, on peut se demander ce que vaut la distinction entre libéraux et néolibéraux. C’est pareil lorsqu’on parle d’école autrichienne entre des Autrichiens, des Néo-autrichiens, des Austro-américains, voire des Post-autrichiens. Autre position, si ce qu’on appelle la troisième génération de l’école autrichienne (Hayek et Mises) a trahi Carl Menger en se disant libéraux là ou le père fondateur veillait bien à rester neutre quant à toute considération politique, faut-il repartir de Menger et créer une école néo-mengerienne, parallèle à l’école autrichienne dont le Mises Institute ou la George Mason University sont les deux grands pôles ? D’ailleurs, quel Menger prend-on en compte, celui des Principes d’économie de 1871 ou celui (en partie posthume) de 1923 ? Karl Polanyi, par exemple, lisant cette dernière version s’inspire d’elle1 pour fonder son courant substantiviste en anthropologie dans les années 1950.

Et puis où s’arrête la frontière entre Autrichiens ‘officiels’ et les compagnons de route ? Quel statut accorder à des penseurs comme Michael Polanyi (pour son approche polycentrique proche des arguments quant à la complexité de Hayek), Karl Popper (dont l’épistémologie a inspiré Hayek, au-delà de leur amitié), Joseph Schumpeter, ou d’autres ?

C’est donc aussi pour ne pas arbitrer ici toutes ces questions et rester le plus large possible, qu’il est question ici de “paradigme autrichien”.

Note

  1. Du moins prétend le faire, s’inspirant plus de Max Weber que de Menger, mais affichant la filiation avec ce dernier dans une intention polémique contre ses successeurs ‘officiels’, Mises et Hayek. ↩︎