On entend ici où là, des commentateurs admiratifs de la rapidité du succès d’Emmanuel Macron, arrivé à se qualifier pour le deuxième tour de l’élection présidentielle française après un an de travail, entre le moment où il avait qu’ils allaient créer un mouvement politique1. Qu’on souligne son travail personnel lui ayant permis de s’imposer à tous ou bien l’habileté des faiseurs d’opinion et l’efficacité de quelques barons marionnettistes dans les alcôves discrètes de la République, qui ont réussi à créer un Golem aussi efficace, on ne tarit pas d’éloges après ce succès.

Cependant, Emmanuel Macron me rappelle surtout lorsque, dans mon enfance, mon grand-père s’amusait à me donner le pot de confiture pour que j’essaye de l’ouvrir. La prenant dans mes petites mains, je ne pouvais que constater mon incapacité d’arriver à tourner le couvercle. Il la reprenait alors dans les siennes et tournait le couvercle presque jusqu’à son ouverture puis, feignant la fatigue, me le rendait, dépité, pour voir si ma force pouvait tout de même le suppléer …et afin que je puisse terminer le travail avec des yeux pétillants et un rien fier d’avoir réussi à faire ce que n’avait pu réaliser cet adulte. Il s’extasiait devant ma force, je faisais semblant de ne pas avoir vu son petit jeu et nous riions, complices.

Certes, Emmanuel Macron a été inventé par un François Hollande2 élu président à la tête d’un Parti Socialiste profondément divisé depuis des décennies sur la politique à poursuivre et gêné très personnellement par le jeune ambitieux qu’était alors Manuel Valls. Celui-ci avait réussi à véritablement s’imposer comme premier ministre auprès du Président de la République, quand un autre jeune roquet, Arnaud Montebourg, lorgnait son heure en jouant habilement avec les media. Mais il faut surtout se souvenir que ce mouvement social-libéral qu’est en train de créer Emmanuel Macron derrière son nom depuis l’annonce de sa candidature, arrive dix-huit ans après le Manifeste pour une troisième voie, de Tony Blair et Gerhard Schröder, dynamique du (New) Labour et SPD à laquelle n’avait pas participé le PS. A l’époque, seul le maire de Mulhouse, Jean-Marie Bockel, au sein du PS et d’une motion qui ne remportait jamais plus de 2%, souhaitait le virage pris par les deux grands partis européens. Celui-ci, après 8 ans d’essais infructueux, actait l’impossibilité de changer le PS et passait ministre du président Nicolas Sarkozy en 2007, celui-ci prétendant transcender l’axe droite-gauche et s’ouvrir à la société civile. Bockel fut vite démissionné et c’est auprès de l’Union des Démocrates Indépendants que son micro-parti, Gauche Moderne, d’orientation social-libérale, se réfugia.

Durant la campagne pour les présidentielles de 2007, c’est aussi ceux qui ont soutenu Ségolène Royal au sein du PS jusqu’à en faire leur candidate à l’élection présidentielle, qui ont ouvert le pot à Macron. En trahissant au passage l’identité du PS, puisque cette femme charmante, illégitime au niveau politique pour le peu d’expérience qu’elle avait alors à des postes importants de la République, était – déjà – une invention des media la faisant entrer dans les sondages alors que nul ne pensait à elle au PS. Ceci séduit les arcanes parisiennes socialistes3 qui actèrent a posteriori ce choix des media, en en faisant la candidate du Parti. Pourtant ce parti avait toujours préféré choisir son premier secrétaire comme candidat, ce premier secrétaire étant lui-même l’émanation de la motion gagnante au Congrès. En aval, le congrès du Parti mettait face à face des motions, chacune présentant un texte élaboré dans un processus collectif par les militants de tous le pays, jusqu’à une synthèse, pseudo-démocratique sûrement, mais qui contrastait au moins dans l’apparence de processus collectif, avec la recherche d’un chef rassemblant sur son nom propre, qu’on trouvait chez les conservateurs. Détruisant la vieille institution des Congrès, Ségolène Royal a donc amené celles des primaires du Parti, dès l’élection suivante, en 2012. En même temps et peu à peu, le Parti se divisait entre deux grands courants, les sociaux-libéraux invertis et les socialistes proprement dits, d’où la tension permanente au sein du PS durant tout le quinquennat de François Hollande (2012-2017). On se rappellera aussi que Ségolène Royal avait voulu – comme Macron dix ans plus tard – pour cette élection (et même après), miser sur une stratégie de rassemblement hors du Parti et sur son sa seule personne4 avec ses fêtes de la Fraternité5 d’un niveau conceptuel sans doute aussi profond que l’absence de programme du mouvement En Marche !

D’un autre côté, en 2007 et 2012, héritant du flambeau de Jean-Marie Bockel, le social-libéralisme fut repris aussi au “centre” par François Bayrou6 durant ses deux candidatures pour la présidentielle. C’est ce dernier qui mit en pratique ce qui n’était que rhétorique de dépassement de l’axe droite/gauche, en appelant à voter pour le social-démocrate François Hollande en 2012, au lieu de se rallier au grand parti conservateur d’alors, l’UMP, comme le faisaient habituellement son camp.

Enfin, la négation de l’axe droite/gauche d’Emmanuel Macron, a aussi été préparée par les stratégies de triangulations de Nicolas Sarkozy et de François Hollande, consistant, chacun dans leur style, en une politique contredisant leur campagne électorale afin de mener des politiques censées plaire aux électeurs de l’autre “camp”, tout en capitalisant sur les thèmes où leur parti est considéré si légitime qu’il en aurait le monopole symbolique. Tout ceci faisant fond sur une montée en puissance du Front National, repris en main par la fille Le Pen et dédiabolisé, qui redessine les clivages en obligeant les grands partis de gouvernement à s’allier ponctuellement, mais presque à chaque élection, ne serait-ce que sur des consignes de vote ; c’est le dit « Front républicain ».

Arrive alors Emmanuel Macron, en 2012,  présenté à François Hollande par des architectes permanents de l’Etat profond, qui est celui qui ne gêne personne, qui sort de nulle part, qui est sûrement facilement manipulable pour quelques secrets de polichinelle grâce auxquels on peut le faire chanter, et donc, l’homme de la situation. A court terme, qui est le temps de la politique politicienne, il est chargé de contrecarrer tant le remuant Manuel Valls que les “frondeurs” socialistes et d’assurer la continuité d’un quinquennat dont personne ne veut assumer l’héritage politique, pas même ceux qui l’ont conduit comme Manuel Valls en tant que premier ministre pendant deux ans et huit mois. A plus long terme, de liquider le Parti Socialiste pour créer un grand Parti Démocrate comme aux EUA, suivant en miroir l’évolution des conservateurs renommés Les Républicains. En 2014, le grand public français apprend l’existence du jeune Macron lorsqu’il devient Ministre de l’économie. En 2017, poussé par de puissants soutiens, c’est lui qui sera la dernière vague d’un vent qui soufflait de plus en plus fort depuis deux décennies. On aurait alors tort de ne voir que la partie immergée de l’iceberg et ne pas se souvenir que le probable futur Président de la République française, n’est que l’homme arrivé au bon moment au bon endroit, chanceux gagnant d’une loterie qu’auraient pu gagner avant lui Bockel, Royal ou Bayrou et ce bien qu’il n’ait pas été aussi habile que l’avaient pensé ses parrains, vu la médiocrité de ses talents d’orateurs, ses bourdes, ses textes copiés-collés, son incompréhension de ce qu’il lit et du désenthousiasme qu’il créa très vite après quelques réunions publiques où les gens ce sont aperçus de la vacuité de son programme, faute d’oser dire clairement le nom de son projet : le social-libéralisme copié des partis dits de “gauche” aux EUA, en Angleterre et en Allemagne.

Le pot qu’il a réussi à ouvrir en accédant à ce deuxième tour, ne lui permet pas encore de mettre les doigts dans la confiture puisque, si son élection ne fait pas de doute, il risque de sortir affaibli de son débat contre Marine Le Pen bien plus habile et plus virile que lui, même quand il crie théâtralement. De sorte, il risque d’arriver au pouvoir avec une méfiance sur sa personne, et un passif hérité quinquennat précédent, d’être le successeur de François Hollande, si la tentative d’épuration de la dette ne réussit pas parfaitement. De plus, lui et ses soutiens doivent encore créer ce Parti Progressiste capable de lui donner une majorité au Parlement, faute de quoi il sera l’otage politique le plus risible de la Vème République, devant cohabiter soit avec un premier ministre social-nationaliste, soit conservateur, l’un ou l’autre ayant sans doute plus de charisme que lui. Via les exemples des autres partis qui ont pris ce virage avant ce qui se passe en France, les think tanks qui doivent déjà travailler à l’élaboration de ce programme rendront ceci possible rapidement. Qu’il soit capable d’ancrer ce parti dans le paysage politique français ne sera pas insurmontable, mais sera une tâche de longue haleine. C’est son problème politique à lui et ceux qui l’actionnent. Quand à nous, il était seulement important de nous rappeler que derrière l’homme et ses réseaux en second plan, il y a une histoire, un temps moyen et un temps long où sont relativisés largement les mérites des initiatives individuelles, nous qui ne sommes que les petites mains dans des mouvements qui nous dépassent, bien que nous les formions tous collectivement, certains plus que d’autres en y prenant une part active. Bravo à Emmanuel Macron pour le dernier coup au pot de confiture qu’il a réussi à ouvrir après que d’autres s’y sont essayé ; à voir maintenant les tartines qu’il va en faire !

Notes

  1. « J’ai mis du temps, j’ai réfléchi, j’ai consulté, j’ai associé beaucoup de gens et j’ai décidé qu’on allait créer un mouvement politique, un mouvement politique nouveau qui ne sera pas à droite, qui ne sera pas à gauche », annonçait E. Macron (Capital, 06/04/2016), l’homme qui décide pour les autres et leur demande de le suivre dans un mouvement pharaonique à ses initiales, “En Marche !”, où il sera évidement la pointe de la pyramide. ↩︎
  2. Et d’autres derrière lui, à sa demande ou non. ↩︎
  3. Si tant est que ce ne fût pas une manœuvre du Parti, via les media, ne sachant pas comment l’imposer au sein de l’organisation, vu son peu d’assise politique mais considérant son fort potentiel “marketing”. ↩︎
  4. Non, sur un programme commun comme Mitterand en 1981 ou la Gauche plurielle de Lionel Jospin en 1997, qui faisaient la part belle aux Partis et non pas au leader charismatique. ↩︎
  5. Mouvement qui dura entre 2007 et 2010. ↩︎
  6. Qu’on retrouve aujourd’hui soutien d’Emmanuel Macron. ↩︎

Photos :

  1. Vagues : « Belle Houle » par Yannick
  2. Entête : « Atelier photo, confiture de framboises VS’ mum, 7.03.08 2 » par Coralie Ferreira.

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